16 juillet 2001

Hier soir, à la table du resto de notre guesthouse, on a eu la chance de s’asseoir côté de Denis, un québécois qui traîne à Phnom Penh depuis un petit bout de temps. Il est avocat, en tout cas il a le diplôme canadien. Mais il n’a pas exercé depuis plusieurs années. Ca fait 5 ans qu’il est installé en Asie. Avant Phnom Penh, il était en Chine. Il parle et écrit d’ailleurs le chinois. En ce moment, il cherche un boulot. Mais ça n’a pas l’air de trop le perturber, il a de quoi vivre. Il faut dire que, selon ses dires, en bossant 6 mois en Chine comme professeur d’anglais, il a de quoi se laisser vivre ici pendant 2 ans! Ca semble plausible lorsqu’on sait qu’une chambre coûte 50$ par mois, un repas autour de 1$, une prostituée à partir de 2$ - ici, ça compte – et 1 kilo de marijuana se négocie autour de 20$. Et 1 kilo, ça fait un paquet de pétards!

Il réagit lorsqu’il m’entend prononcer le mot “sympa” en parlant de notre tour en Asie du sud-est. Non, pour lui, ici, c’est tout sauf “sympa”. Pourtant il glande depuis quelques temps… Et effectivement, il nous raconte des histoires pas “sympas” du tout sur la vie ici. Comme par exemple la corruption des flics dans la ville, qui te raquètent la nuit s’ils te voient après 23H00. Ils peuvent essayer de t’extorquer 20$, mais en principe tu t’en sors pour 1$. C’est un principe de base en Asie, tout se marchande, même la corruption. Ou alors, il y a le problème des armes à feux. Tout le monde en a une et le désarmement est un des gros boulot des autorités aujourd’hui. En ville, sur la porte d’une banque, on verra d’ailleurs à côté des autocollants Visa et Mastercard, un gros pistolet barré. Interdiction d’entrer armé!

Et puis, on passe du “pas normal” au carrément répugnant. Il a parlé pas plus tard qu’hier avec un commerçant malaisien venu à Phnom Penh acheter des vierges vietnamiennes. Pas des bibelots en plastique pour les revendre à Lourdes. Non, des jeunes filles vietnamiennes vierges! Avec le SIDA, il paraît qu’il y a un vrai marché… Et il parlait, nous dit Denis, de son business comme ça, librement, normalement. Un peu comme s’il s’agissait de vierges en plastoque justement…

Alors, non, notre ami Denis ne trouve pas que le Cambodge soit un pays “sympa”. Mais c’est normal, pense-t-il, de le trouver “sympa” quand on ne fait que passer… Je proteste un peu pour la forme. Debouche tes oreilles Denis! J’ai dit qu’on avait passé 3 mois dans la région et que c’était “sympa”… d’avoir un aperçu de tous ces pays. Ce n’est pas la première fois qu’on nous tient ce discours. Mais moi, je trouve qu’on peut rester un mois, six mois, cinq ans dans un pays et végéter sans rien découvrir du tout, si ce n’est le petit monde clos dans lequel le quotidien a tendance à nous enfermer. C’est sûr qu’avoir du temps est un précieux avantage. Mais l’important c’est aussi d’être intéressé, curieux, attentif et observateur. Faudrait lui péter l’histoire du Chtit Lolo qui fait partie de l’élite de la perspicacité et l’absence des antennes paraboliques au gros Denis! Mai bon, ce n’est pas le débat…

Pour lui montrer quand même qu’on ne voyage pas comme des ballots qui s’exstasient devant chaque scène rurale… heu… en fait, si, on s’exstasie un peu quand même… Autant pour moi. Donc, pour lui montrer qu’on ne voyage pas comme des ballots qui ne font que s’exstasier devant chaque scène rurale, je sors un bouquin qu’on a déniché à Saïgon. Ecrit par un journaliste (?), il décrit le régime politique mafieux en place au Cambodge et le tout petit monde des expatriés qui gravitent autour de Phnom Penh… dont Denis fait partie en quelque sorte. Et même plus que ça. Il est tout excité en voyant le livre. Un pote lui a raconté qu’on parlait de lui dans ce bouquin. Mais bon, il n’a pas encore eu le temps de vérifier. Ca fait pourtant 2 ans qu’il est sorti ce bouquin. De toute façon, il nous dit qu’il a “la conscience propre” et qu’il n’a pas fait “pire que les autres”. Alors, ça va, les autres sont juste décrits comme de gros légumes installés dans le pays pour la drogue et les filles… rien de grave.

Le monde des expatriés -entendez les occidentaux installés à l’étranger- peut parfois être surprenant. Il y en a de très bien, on en a croisé et on en connaît même bien deux en Thaïlande qui sont tout à fait fréquentables. Mais certains autres ne sont visiblement là que pour l’argent et la vie facile qui va avec et ne sont absolument pas intéressés par les gens qu’ils croisent et leurs richesses culturelles. Un étudiant français en stage dans le sud du Vietnam nous a expliqué combien il était pénible de discuter avec tous ces gens à Saïgon qui ne pensent qu’à l’argent et qui méprisent les vietnamiens. D’après lui, bien un tiers des expatriés qu’il a croisés. Consternant.

La campagne traversée hier nous a laissé l’impression d’un pays très pauvre, plus pauvre que le Laos et le Vietnam. L’impression est la même lorsqu’on voit le boulevard Monivong qu’on remonte pour aller à l’ambassade de France. Il s’agit d’une artère de la capitale, mais le goudron ne recouvre que la moitié de la largeur. Les véhicules qui descendent vers le sud de la ville roulent sur la terre, une terre rouge qui se soulève pour former un nuage de poussière au dessus du boulevard. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que ce pays sort d’une guerre civile et d’un génocide. Ce qui est plus étonnant par contre, ce sont les voitures. Les gens dans les campagnes semblent ne rien posséder, les rues et les routes sont explosées un peu partout, mais à Phnom Penh on croise sans arrêt de gros 4X4 top frime et des Mercedes flambant neuves. Mais surtout, c’est leur nombre qui surprend. On a traversé le Laos où les voitures particulières sont presque inexistantes et le Vietnam où elles sont rares. Même Saïgon la moderne et la dynamique n’en possède pas une si forte proportion. En fait, depuis Bangkok, c’est la première fois qu’on voit pratiquement plus de voitures que de 2 roues!

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